La façade Est du château de Mirefleurs, aujourd’hui réduite à quelques vestiges, laisse entrevoir une grande ouverture voûtée encadrée par deux fenêtres en quadrilobe. Ces éléments architecturaux, rares dans un cadre civil, soulèvent plusieurs interrogations. Leur finesse d’exécution contraste avec les pierres basaltiques sombres des murs, suggérant un apport extérieur en matériaux et en savoir-faire. Deux hypothèses principales émergent pour expliquer leur origine.

Un projet à la mesure du duc d’Albany ?

John Stuart, duc d’Albany, comte d’Auvergne et régent d’Ecosse, fut le maître d’ouvrage de la Sainte-Chapelle de Vic-le-Comte, une réalisation marquée par son dévouement religieux et son habileté politique. Non seulement il présidait les réunions de chantier, mais il obtint également l’autorisation du pape (bulle) pour sa construction. Ce soutien pontifical s’explique par des liens familiaux étroits : le pape était issu de la famille Médicis, comme le mari de Madeleine de La Tour d’Auvergne, père de Catherine de Médicis. Cette chapelle, inspirée par celle de Paris, était un lieu de prestige, destiné à refléter la foi et la grandeur du duc.

Cette voute avec des pierres en saillie et un conduit qui pourrait être un assommoir, sont sans doute les vestiges d’une entrée fortifiée appelée « barbacane ».

Le château de Mirefleurs, où le duc résidait régulièrement et envoyait la majorité de ses lettres, aurait pu bénéficier du même soin esthétique et symbolique. Les fenêtres en quadrilobe, par leur motif souvent lié à l’architecture religieuse, pourraient refléter la volonté du duc d’imprimer son style et ses valeurs sur un lieu qu’il souhaitait prestigieux. Leur présence, associée à une grande voûte qui semble avoir marqué une entrée, aurait eu pour but d’impressionner des hôtes de marque comme François Ier, qui séjourna au château.

 

Le duc d’Albany (plafond du palais d’holyrood en Ecosse)

Une hypothèse ancienne : une chapelle comtale

Avant même l’époque du duc d’Albany, Mirefleurs fut la résidence des comtes d’Auvergne, et il est plausible qu’une chapelle privée ait existé dans une première version du château. Cette hypothèse repose sur des éléments historiques et architecturaux :

  • Les dessins réalisés en 1520 par Bremond Domat, serviteur du duc, montrent une chapelle accolée au mur d’enceinte, qui a pu être construite en même temps que la Sainte-Chapelle comme le démontre la présence d’un placard très finement sculpté, avec un matériau très semblable à celui des bas reliefs de Vic-le-Comte.
  • Les comtes d’Auvergne, comme beaucoup de grandes familles médiévales, disposaient de lieux de culte intégrés à leurs résidences. Les quadrilobes pourraient donc être un vestige d’une chapelle primitive, antérieure à celle visible au XVIᵉ siècle.

Dessin de Bremond Domat, servieur du Duc d’Albany, dans un livre envoyé au pape et à François 1er pour valoriser les ancêtres et propriétés du Duc, de sa femme et de leur nièce et héritière Catherine de Médicis. La chapelle du château est représentée à droite, sous le château de Mirefleurs, au dessus de l’escalier du Guichet.

Sur le cadastre napoléonien, on retrouve en vert la chapelle qui a été détruite et réorientée pour donner l’église actuelle. Un escalier dans une tour permettait au comtes d’Auvergne d’accéder à une alcove privée pour assister aux offices. Le même procédé (relativement commun) a été utilisé dans la Sainte chapelle de Vic-le-Comte.

Cependant, cette hypothèse se heurte à plusieurs contradictions. Le conduit visible au-dessus de la grande voûte, interprété comme un assommoir, évoque davantage une fonction défensive qu’un aménagement religieux. De plus, l’absence de traces de réutilisation des fenêtres dans des édifices ultérieurs plaide pour une création directement liée à l’époque du duc d’Albany.

Un carrefour d’influences artistiques et architecturales

 

Les fenêtres en quadrilobe traduisent également la capacité du duc d’Albany à réunir des influences européennes dans ses projets :

  • En Italie, où il séjourna, il s’inspira des techniques de sculpture et de la mise en scène architecturale propre à la Renaissance.
  • En Écosse, il introduisit des bastions fortifiés modernes, comme au château de Dunbar, tout en conservant les traditions artistiques locales, comme le quadrilobe présent sur les monnaies de James III, James IV et James V.
  • À Vic-le-Comte, ces influences se retrouvent dans une esthétique mêlant traditions gothiques et innovations modernes.

 

Pièce portant les armes de James V sur un bouclier entouré d’un quadrilobe

Un carrefour d’influences artistiques et architecturales

 

Détruit et pillé à la Révolution française, le château de Mirefleurs ne conserve aujourd’hui que peu de vestiges. Pourtant, ces fenêtres en quadrilobe racontent une histoire riche et complexe. Elles témoignent sans doute de l’ambition et du raffinement du duc d’Albany, mais aussi d’un héritage plus ancien, lié aux comtes d’Auvergne. Ces éléments, à la fois artistiques et symboliques, offrent une rare occasion de replonger dans l’histoire d’un lieu qui, bien que presque effacé, continue d’intriguer.

L’une des deux fenêtres en forme de trèfle, vue de l’intérieur du château de Mirefleurs