Le château englouti de Dieu-y-Soit

Le château de Dieu-y-soit est l’un des plus mystérieux d’Auvergne. Propriété de Catherine de Médicis, il figure bien sur des cartes, près de l’Allier, mais parfois rive droite, d’autres fois rive gauche, et de temps en temps sur une île ! Il est tantôt une forteresse avancée du comté d’Auvergne, tantôt une dépendance de Mirefleurs connue pour son bon vin et ses plaisirs.

Un nom de légende, transformé, puis retrouvé

En 1868, l’historien J. M. Biélawski nous propose une description très romancée du château, et une hypothèse rocambolesque pour l’origine de son nom :

 » Une sorte de superstitieuse terreur enveloppa le castel de Dieu-y soit. C’était un lieu d’aventures mystérieuses, galantes ou terribles. Dans le calme de la plaine, au milieu du silence des champs, le pâtre, qui paissait ses troupeaux dans le voisinage, entendait parfois des cris lugubres déchirer l’espace. […] Il se signait avec ferveur, et, murmurant une courte prière, disait naïvement: « Diex-li scho! » « 

Pour le chamoine Jean-Baptiste Fouilhoux (1839-1918), l’explication diffère légèrement :

 » Ce nom de Dieu-Y-Soit a fait travailler quelques imaginations,, que l’ignorance de l’histoire locale abandonnait sans frein à toutes les rêveries. On a dit qu’il se passait en ce lieu des scènes diaboliques, et que les habitants du pays effrayés de ce qu’ils voyaient et entendaient ne cessaient de répéter : que Dieu y soit ! Le proverbe si ce n’est pas vrai, c’est au moins bien trouvé, n’est pas applicable ici ; l’explication n’a d’autre mérite que de provoquer le rire. A défaut d’interprétation plausible, il en est une que nous ne voudrions pas faire nôtre, mais qui au  moins n’est pas dépourvue de bon sens. Le comte d’Auvergne,, considérant son nouveau castel, dont il avait voulu faire une des clefs du comté,’ et voyant que, malgré sa petite garnison, il n’offrait pas une barrière infranchissable, aurait adressé au ciel cette invocation : que Dieu y soit ! « 

Dans les chartes du quinzième et seizième siècle, on trouve le retrouve le nom déformé par le patois auvergnat : Diusset ou Diousset. Dans, le Journal du voyage de Charles IX, en 1566, Abel Jouan écrit « Dusset », et il précise que le château était dans un bois : sa vocation défensive était donc moins importante qu’auparavant, car les arbres offrent une protections aux ennemis.

Au XVIIème et et XVIIIème siècle, on trouve également la dénomination « Dieuseail » sur les cartes. A partir du XIXème siècle, le nom de « Dieu-y-Soit » réapparaît – avec des tirets – mais il est précisé que le château est à l’état de ruines.

Un emplacement stratégique, et terriblement risqué

Le même Fouilhoux nous apprend la raison de la construction de la forteresse :

 » […] aux époques troublées, il passait des bandes armées, qui pouvaient avoir la tentation de se jeter sur la rive droite et de pénétrer sur les terres du comté. Ce fut la raison d’être du castel de Dieu-Y-Soit. Il fut placé sur la rive droite, tout près du cours de la rivière ; et comme cette rive était en pays très plat, on construisit une motte artificielle pour exhausser l’assiette de l’édifice, qui fut comme un avant-poste du château de Mirefleurs. « 

Dieu-y-Soit était donc situé à l’origine sur la rive droite, puisqu’il appartenait au comté d’Auvergne dont la limite était l’Allier. Le château devait permettre de surveiller le guet qui se trouvait à cette endroit. La route qui relie Vic-le-Comte à Clermont était, d’après Fouilhoux, une ancienne voie romaine, et un axe important jusqu’au 16ème siècle, puisque les comtes d’Auvergne résidaient à Vic. Mais cet endroit a toujours été prisé : l’Allier est ralenti par une pente plus douce à partir des Martres de Veyre, il n’est pas encore rejoint par l’Auzon, donc il est plus facile de le traverser. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’oppidum de Gondole était situé juste à côté, légèrement surélevé.

Si l’on étudie les cartes d’Auvergne à partir du 16ème siècle, on s’aperçoit que le calme de la rivière à cette endroit est tout à fait relatif. Lors des nombreuses crues de l’Allier, les méandres qui se forment dans cette plaine se déplacent. Le château, construit rive droite, s’est retrouvé sur une île, pour finir totalement isolé sur la rive gauche :

1619 – Dieu ÿ soit – Rive droite

1663 – Dieu y soit – Rive droite

1739 – Dieu y Soit – Île

1775

1845 – Dieu y soit – Rive gauche

1871

Il est difficile de savoir exactement quand le château a changé de rive et quand il a été détruit. Les méandres sont susceptibles d’évoluer à chaque crue importante, et nous savons qu’elles n’étaient pas rares : le livre « Les inondations de l’Allier dans l’arrondissement de Brioude » paru en 1877 évoque des dégâts importants pour 1421, 1586, 1592, 1625, 1641, 1731, 1733, 1755, 1766, 1783, 1787, 1789. A partir de 1790 (la plus grande crue connue), nous disposons également des hauteurs de la rivière à Langogne, Brioude, Parentignat, Vichy et Moulins. Voici les crues les plus importantes : 1790 (9m), 1875 (7,44m), 1866 (7,38m), 1846 (7,2m), 1835 (7m) placées sur le graphe ci-dessous :

Ces crues exceptionnelles entrainaient les bacs (dont celui de Mirefleurs) et souvent les ponts. Le château de Dieu-y-soit, malgré sa petite bute et ses éperons rocheux, devaient subir lui aussi des dégâts très importants. En plus des crues, les chemins qui l’entouraient devaient subir les débâcles de l’Allier : lorsque la rivière était prisonnière des glaces (1716, 1755), le redoux entrainait dans le courant d’énormes blocs solides qui ravageaient tout sur leur passage. Dans ces conditions, il devenait difficile de reconstruire à cet endroit, surtout après la vente du château par Catherine de Médicis, et ensuite, après le changement de rive qui l’isolait de Mirefleurs.

Enquête sur les contours du château

Voici la description du château au XIXème siècle extraite de l’Histoire de la Comté d’Auvergne :

 » On reconnaît, près du domaine de Lavors, l’emplacement de ce château à de nombreux vestiges de fondations, à des pans de mur et à divers tronçons de tours renversés sur le sol. On remarque des enrochements qui servaient à protéger le pied des fortifications contre l’action des eaux. Dieu-y-soit comprenait un rectangle flanqué de tours et protégé par une seconde enceinte munie d’éperons. « 

Le plan du cadastre napoléonien de 1820, des archives départementales, précise le contour de l’édifice principal, à l’évidence fortifié, et d’un mur d’enceinte :

En 2012, une publication de Bertrand Dousteyssier, sur l’archéologie vue du ciel, mentionnait le château de Dieu-y-Soit et proposait un contourage rapide. Sur Geoportail, on peut trouver une image satellite pris au printemps, avec des contrastes qui mettent en valeur des zones plus humides. 

Le contour du château (en blanc) apparaît nettement, et peut se juxtaposer à celui de Monsieur Dousteyssier, si l’on incruste sa carte dans l’image satellite :

Il suffit alors d’utiliser un logiciel de dessins multi-calques pour superposer tous les plans. Le contour blanc combiné au plan napoléonien (image ci-dessous à gauche) démontre que l’hypothèse d’une seconde enceinte n’est pas fantaisiste : les murs s’alignent parfaitement. L’incrustation de l’image satellite permet alors de bien situer le château dans le paysage actuel (image ci-sous à droite) :

Les cartes des zones inondables (Vigicrues) nous renseignent sur la topographie autour du château. L’image ci-dessous montre qu’il était bien construit sur une bute qui existe encore aujourd’hui. Pour autant, il n’était pas à l’abri, puisque la rivière recouvre totalement cette plaine lors des crues les plus importantes. Sur la seconde image, figure une hypothèse pour tracer la route qui reliait Mirefleurs à Clermont jusqu’au XVIème siècle : elle devait s’appuyer sur les reliefs les plus hauts, et sans doute longer le château.

Toujours au XVIème siècle, l’Allier coulait au Nord-Est du château. En étudiant à la fois la topographie et les zones humides des images satellites, les cartes ci-dessous proposent un tracé pour la rivière, et sa mise en situation sur une carte actuelle. Ainsi, la traversée de l’Allier ne pouvait se faire qu’en traversant la petite île dominée par le chateau.

Le château de Catherine de Médicis

Le château a connu ses heures de gloires au XVIème siècle. En 1533, il appartient au duc d’Albany, ancien régent d’Ecosse, amiral de France, ami du pape et de François 1er (« le seul à aller et venir dans sa chambre »). Pour préparer le mariage de Catherine de Médicis, sa nièce, avec le futur Henry II, il accueille François 1er à Mirefleurs et loge sa suite dans le château de Dieu-y-Soit. On trouve des traces de la réception dans les archives départementales :

 » 5 mai [1533]; 3 poinçons de vin clairet donnés à M. d’Albany, « gouverneur pour le roy au pays d’Auvergne », 12 liv.; — 6 mai; le concierge du château de Mirefleurs ayant charge de recevoir les vins apportés aux châteaux de Mire-fleurs et « Dieuysset » (Dieu y soit), reconnait avoir reçu des consuls de Montferrand, pour le roi, 5 poinçons de vin clairet, et un poinçon de vin blanc apportés au château de Dieu y soit ; — Cahier 16 mai; à M. Faugières par ordonnance de M. Cirgue Laurens, l’un des commis, à faire faire les jeux pour la venue du roi « 

Jean-Baptiste Fouilhoux évoque dans son livre le décès du duc d’Albany. Selon lui, il meurt à Dieu-y-Soit, et non pas à Mirefleurs :

 » […] la froideur de la régente obligea ce prince à quitter la cour et à se retirer dans son gouvernement d’Auvergne. Mais, avant de partir, ayant voulu prendre congé de Louise, cette princesse lui dit avec beaucoup d’aigreur : Adieu, prince sans terre. Le duc, qui était d’une naissance à ne pas souffrir un tel mépris, et qui, de plus, était fort sûr de son innocence, lui répartit : Adieu, princesse sans honneur. Après quoi il se rendit bien vite dans son château de Mirefleurs, dans le comté d’Auvergne, et mourut peu de temps après dans son château de Dieu-y-Soit, s’étant fait ouvrir les veines dans la crainte qu’il eut que la duchesse Louise et son fils ne Lui fassent une cruelle vengeance des paroles outrageuses qu’il avait laissé échapper contre celle princesse, mère de son roi. « 

Là encore, cette histoire est sans doute largement romancée, puisque le duc est décédé an 1536, 5 ans après Louise de Savoie.

Quelques années plus tard, en 1566, Catherine de Médicis, alors régente du royaume, entreprend un voyage en Auvergne avec son fils , le jeune roi Charles IX. Elle se rend à Vic-le-Comte (son oncle et tuteur le duc d’Albany y est enterré dans la Sainte-Chapelle qu’il a édifiée), dort à Dieu-y-Soit (sans doute à défaut de pouvoir dormir à Mirefleurs dans le château du Duc), et se rend également dans le château préféré de sa mère à Saint-Saturnin :

 » Charles IX devait coucher le soir même à Dusset [Dieu-y-Soit], petit château de Catherine de Médicis qui se trouvait au milieu d’un bois. Le lendemain 20, on prit le chemin qui suivait d’abord la rivière, grimpait ensuite à travers les hauteurs; ainsi on arriva à Vic-le-Comte, appartenant également à la reine-mère. On repasse l’Allier sur un pont de bateaux pour continuer vers Saint-Amant, beau château et petite ville, près du lac, et Saint-Saturnin dont le joli manoir, dominant la montagne, appartenait aussi si à Catherine de Médicis. « 

Aujourd’hui, Dieu-y-Soit sombre dans l’oubli

Au XIXème siècle, l’Histoire de la Comté d’Auvergne donne un état des lieux de la ruine :

 » L’intérieur de la tour de l’angle N.-E.est à jour. Une porte s’ouvre au fond et donne accès dans une cave spacieuse et très-humide. Une brèche conduit à un second souterrain très-vaste, mais inondé. « 

Il est assez difficile de savoir dans quel état se trouve Dieu-y-Soit aujourd’hui, car il se trouve au milieu d’une propriété privée et l’accès est interdit. Sur l’image ci-dessous, les ruines sont cachées dans le petit bosquet au centre, avec l’Allier et le village de Mirefleurs en arrière plan :

Voici un photomontage à 360° réalisé à l’aide de photos trouvées sur un blog (aujourd’hui disparu) :

D’autres photos nous montrent que la tour a été remplacée par un bâtisse plus récente, en ruine également. La cave semble exister encore, avec son puits et peut-être l’entrée du souterrain. De belles pierres taillées sont visibles autour d’une porte murée, ainsi qu’à l’entrée de la propriété…

Ainsi se termine la vie du château de Dieu-y-Soit, vendu par la reine (mais en dernier parmi ses demeures de la comté avec Mirefleurs), délocalisé par l’Allier, rongé par les crues et maintenant perdu au milieu d’une exploitation agricole.