Pour ce premier article sur l’Histoire de Mirefleurs, il convient de commencer par l’origine du nom du village. Ce nom, particulièrement élégant, a été soigneusement choisi par le comte de Boulogne et d’Auvergne, pour remplacer celui de Chatelneuf ou Châteauneuf-sur-Allier, sans doute trop commun et un peu vieillissant en regard de la date de construction de la première forteresse.

Un comte qui aimait mirer ses fleurs ?

  • Probabilité 15% 15%

La version officielle, que l’on découvre sur le site de la mairie, est sans doute extraite de l’Histoire de la Comté d’Auvergne (J.M. Béliawski) :

« Un jour, en chassant sur les hauteurs de St- André, le comte Bertrand s’arrêta pour jouir des splendeurs de la campagne de Châteauneuf qui s’épanouissait au-dessous de lui . Il se tourna vers ses compagnons de plaisir et leur dit dans le transport de son admiration : « Mirez ces fleurs, messires! » Cette parole ne devait pas être perdue . Le comte demande au roi Louis XI que le nom de Châteauneuf soit changé en celui de Mirefleurs. »

Cette version est présente dans d’autre ouvrages d’histoires ‘romancées’, c’est à dire de livres destinés à un large public, souvent truffés d’erreurs et d’interprétations fabuleuses. Peut-on sérieusement imaginer un guerrier auvergnat de ce siècle, entouré de ses hommes, en train de divaguer sur les petites fleurs des environs ? La mise en scène est peu convaincante, surtout que le nom choisi ne comprend pas de « s ».

Pourtant, le comte Bertrand VI a bien fait cette demande comme en témoignent les lettres patentes octroyées par la chancellerie :

« Louis , par la grâce de Dieu , à tous ceux qui cesrésentes lettres verront, salut, savoir faisons que , à la requeste de notre cher et aimé cousin le comte de Boulogne et d’Auvergne, seigneur de Châteauneuf assis en la comté d’Auvergne, nous avons voulu et ordonné , voulons et ordonnons par ces présentes que ledit lieu de Châteauneuf soit ap pelé dores en avant le Chastel et place de Mirefleurs et non autrement …… – Donné à Amboise le quin zième jour de décembre de l’an de grâce 1470 et de notre règne le dixième . »

Autre indice : cette lettre date de 15 décembre, saison peu propice à la floraison.

Le choix du nom de Mirefleur a donc peu de chances d’avoir été improvisé lors d’une partie de chasse. Il est le fruit d’une réflexion plus profonde.

 

Détail du gisant du tombeau de Bertrand VI d’Auvergne et de son épouse Louise de La Trémoille, dans l’abbaye du Bouschet. Source : Wikipedia.

Le château au parc fleuri du roman d’Amadis de Gaule ?

  • Probabilité 60% 60%

Amadis de Gaul est un roman de chevalerie écrit par Garci Rodríguez de Montalvo et publié en 1508 à Saragosse. Dans ce livre, on trouve la description d’un château du nom de Mirefleur qui possède de magnifiques jardins dans lesquels se déroulent les intrigues amoureuses.

Amadis est selon Cervantes, « le premier livre de chevalerie publié en Espagne, il a servi de modèle à tous les autres ». Ce roman a connu un succès extraordinaire en France. « De son temps, quelqu’un qui aurait mal parlé d’Amadis se serait vu craché au visage » (Préface 1813 par Auguste Creuzé de Lesser). Pourtant, il a été publié de notre pays en 1540, ce qui semble incompatible avec la date de la naissance officielle du village « Mirefleur » (qui était d’ailleurs considéré comme une ville car il possédait plusieurs portes).

Cependant, un écrit du traducteur du livre en Français, Nicolas d’Herberay des Essarts, nous apprend que l’auteur espagnol s’est largement inspiré d’un livre écrit en dialecte picard. En fait, les trois premiers tomes, au style bien marqué, auraient été rédigés en France, contrairement à la suite. Par ailleurs, Paget Toynbee situe l’origine de l’écriture du livre entre Edouard III (1312-1377) et Henry V (1386-1422) en se référent à des passages du livre décrivant les alliances entre anglais et français.

Est-ce que ce roman picard s’est retrouvé entre les mains de Bertrand VII ou de la sa femme Louise de la Trémoille ? On sait, d’après un inventaire de sa petite fille Catherine de Médicis, qu’elle avait constitué une bibliothèque fournie dans sa résidence préférée à Mirefleur. On sait également que le comte d’Auvergne était également comte de Boulogne (sur mer), ville rattachée jusqu’au XXème siècle… à la Picardie !

Illustration trouvée dans une édition d’Amadis de Gaul de 1533.

Une tour au sommet de la colline de Greenwich ?

  • Probabilité 15% 15%

En 1598, Paul Hentzer, un avocat allemand qui a publié un compte rendu de ses voyages en Angleterre , nous apprend que la tour de la colline de Greenwich se nommait « Mirefleur ». Elle aurait été construite au début du XVème siècle et inaugurée en 1431 avec d’autres bâtiments du palais londonien. Cet édifice a été tout à tour une prison, la maison des maîtresses du roi Henry VIII, et une des places préférées de la reine Elisabeth. D’ailleurs, en 1568, le duc d’Alva, un espagnol, l’avait appelée Oriana, comme le personnage du roman d’Amadis de Gaule, ce qui avait provoqué un petit scandal (car cette héroïne n’était pas totalement fidèle).

Il y a donc plus de chances que le nom de cette tour, qui donnait sur les jardins de Greenwich, ait tiré son nom du roman Amadis de Gaule après sa publication en Angleterre, au XVIème siècle. Mais rien ne prouve non plus qu’elle ne portait pas ce nom dès sa construction… Elle aurait pu alors inspirer le comte d’Auvergne au moment de renommer son château.

Détail d’un paysage dessiné par Wyngaerde en 1558. Au sommet de la colline de Greenwich se dresse la tour Mirefleur. Elle a été ensuite remplacée par le célèbre observatoire.

Une reine mérovingienne ?

  • Probabilité 5% 5%

A la mort de son père Clotaire 1er en 561, Calibert 1er reçoit en héritage le royaume de Paris et d’Aquitaine. Il épouse Ingeberge mais pratique une monogamie « sérielle » et il a de nombreuses maîtresses. Pour le contraindre, sa femme décide de faire entrer à l’atelier royal un artisan, père de deux de ses maîtresses. Mais Calibert délaisse Ingeberge pour épouser la première fille, Miroflède (appelée également Mirefleur), puis épouse ensuite sa sœur qui était religieuse. Pour cet exploit et pour sa bigamie, il est excommunié par l’église. Il quitte ensuite les deux sœurs pour épouser une autre femme et meurt en 567.

Le nom de Mirefleur apparaît donc dès le VIème siècle dans la littérature. La vie de Calibert est racontée dans les livres des « intrigues galantes à la cour de France ». Miroflède et sa soeur y apparaissent comme les filles d’un artisan ou parfois comme des prostituées.

On imagine mal le comte d’Auvergne choisir alors ce nom pour son village.

Par ailleurs, rien n’indique si le nom de Mirefleur était présent dans les premiers ouvrages consacrés à cette histoire.

Partage du royaume à la mort de Clotaire. Grandes Chroniques de France, xive siècle, Castres, musée Goya. Source : Wikipedia

Une maison de Charleville ?

  • Probabilité 5% 5%

On trouve trace du nom de Mirefleur à Charleville-Mézières, au XVIIème siècle. Il s’agit là encore d’une maison avec un vaste jardin, sans doute particulièrement fleuri. Elle appartenait au Duc de Nevers et a été rasée en 1860. Le verger était tellement caste qu’il était nommé le ‘petit bois’.

Est-ce que cette maison existait au XVème siècle lorsque le comte d’Auvergne cherchait à renommer l’un des ses bastions ? C’est peu probable. Là encore, le nom est sans doute inspiré du roman d’Amadis de Gaule.

Au premier plan, Mirefleur : Maison du duc de Nevers a Charleville (Israël Silvestre, 1665, Le Louvre Est)